Tyler Childers repousse les limites avec Snipe Hunter

Tyler Childers dévoile un opus produit par Rick Rubin, où le talentueux musicien du Kentucky s’aventure dans des horizons sonores inédits et livre ses paroles les plus percutantes.

Un interprète en phase avec ses paradoxes

Tyler Childers excelle à naviguer au cœur de ses propres paradoxes : il incarne à la fois un gardien des traditions country classiques et une sensation mondiale sur les réseaux. Ayant renoncé à l’alcool, il compose pourtant certaines des ballades sur la boisson les plus mémorables de notre époque ; icône des arènes géantes, il boycotte son succès le plus retentissant depuis cinq ans. Avec Snipe Hunter, réalisé sous l’égide de Rick Rubin, l’artiste originaire du Kentucky propose un opus osé et imprévisible qui réinvente son parcours artistique.

Des montagnes appalachiennes vers l’universel

Au cours des dix dernières années, Childers a partagé sa vision des Appalaches, un savant dosage de mysticisme et de regard critique sur la société (comme dans “Long Violent History”, inspiré des rassemblements pour George Floyd). Il a toujours veillé à dépeindre sa terre natale sous un jour nuancé et ambivalent, à son image. Auparavant, cette quête se cristallisait dans Purgatory (2017), son opus emblématique. Snipe Hunter bouleverse les codes : sur treize morceaux, il expérimente sans limites – passant d’une pop à la Phil Spector au rock garage, évoquant l’hindouisme, rendant hommage à Cyndi Lauper ou Stephen Foster – le tout soutenu par son groupe de longue date, The Food Stamps.

Des audaces extrêmes, une créativité débridée

Loin de capitaliser sur ses acquis, Childers se laisse aller au jeu : un couplet sur les maladies vénériennes chez les koalas dans “Down Under”, des refrains inspirés du Krishna dans “Tom Cat and a Dandy”, une ligne provocante sur l’idée d’« allumer le feu au diable » dans “Getting to the Bottom”. L’ensemble atteint son apogée avec “Dirty Ought Trill”, un hommage vibrant à un chasseur et son compagnon canin, devenu un potentiel tube de concert. Dans un univers country souvent conservateur, ces choix téméraires constituent une véritable rupture.

Rick Rubin met en lumière un vocaliste renouvelé

De son côté, Rick Rubin fait émerger un chanteur transformé : Childers n’a jamais exploré autant de nuances vocales. Il hurle, susurre, s’abandonne ou se dresse avec force. Dans “Getting to the Bottom”, il prolonge un mot en quatre syllabes ; sur “Cuttin’ Teeth”, récit détaché de ses débuts tumultueux en tournée, il murmure comme un observateur distant de son histoire. À l’opposé, “Eatin’ Big Time”, qui lance l’album, le montre exploser de fureur : « T’as raison, je parade avec ma montre Weiss ! T’as déjà tenu mille dollars sales en main ? » Peu d’artistes ont su convertir une introspection sur la gloire en une réflexion profonde sur les classes sociales et la reconnaissance.

Les subtilités qui illuminent l’ensemble

C’est pourtant dans les finesses que Snipe Hunter rayonne : ses métaphores inattendues (« Leurs foies implorent-ils l’eau ? »), ses divagations spirituelles (« On abandonnerait tout le stock de merchandising »), ses touches d’ironie (un “bro” de portier, des néologismes, des injonctions au chien – Gib laut !). Le disque se clôt sur “Poachers”, une complainte à la fois personnelle et engagée. À travers l’histoire d’un braconnier, Childers aborde la justice, l’addiction, la fierté et l’optimisme : « J’suis ouvrier dans l’âme, alors je taillerai ma propre issue. »

Un pionnier de la country d’aujourd’hui

Grâce à cet album original et flamboyant, Tyler Childers s’affirme comme l’une des figures les plus innovantes de la scène country contemporaine.