
La Dispute – No One Was Driving The Car
Six ans après « Panorama », La Dispute revient avec « No One Was Driving The Car », un album bien plus qu’un simple retour. Ce récit en cinq actes, une œuvre ambitieuse, mêle intime et politique, vulnérabilité et création. L’album se vit, comme une pièce de théâtre ou un film.
Le silence précédant cet opus n’était pas un abandon mais une période de questionnements, d’introspection et de réalignement. Les tournées post-COVID ont été décisives : « Redécouvrir ces morceaux a remis en perspective l’importance de la musique, sa dimension physique et émotionnelle. Cela nous a donné envie de créer à nouveau. » Ce retrait a donné naissance à un univers brut, nourri d’histoires, d’images et de conversations, jusqu’à une révélation du « pourquoi ». L’album devient une méditation sur le contrôle, l’isolement et l’acceptation.
Les performances vocales sont remarquables, comme dans « Environmental Catastrophe Film », une fresque épique de huit minutes, conçue dès le départ comme une montée implacable. « Beaucoup échappe à l’explication rationnelle, et les morceaux deviennent ce qu’ils doivent être ». À l’opposé, le morceau éponyme offre un lâcher-prise inattendu, où la voix hurle sur un fond acoustique minimal, un paradoxe saisissant. Cette intensité maximale, dans sa nudité, devient un geste de vérité.
Le « je » se confronte à l’intime dans deux titres clés. « I Shaved My Head », première chanson écrite et symbole de transformation, ouvre la voie. Mais c’est « I Dreamt Of A Room With All My Friends But I Could Not Get In » qui est le plus poignant, signifiant une souffrance vécue par le chanteur en studio : « Sentir qu’on est coupé de ceux qu’on aime. Écrire ce morceau, c’était l’affronter. L’utilisation répétée du ‘I’ est volontaire : mettre en avant l’aspect personnel, l’isolement par ses propres choix. » Ces chansons ne sont pas des exercices de style mais des confrontations intimes.
La structure en actes, dévoilée progressivement, n’est pas un artifice marketing mais une volonté de lutter contre la consommation fragmentée de l’art. Un appel à relier les morceaux, les comprendre dans leur ensemble pour saisir l’histoire. Ce choix audacieux souligne la volonté d’une expérience immersive, loin de la fragmentation des réseaux sociaux. L’autoproduction a permis une intensité brute et viscérale, sans filtre. Chaque cri, chaque inflexion est à sa place, car révélant la vérité du moment. Le post-hardcore se mêle à des respirations éthérées, à des passages quasi-cinématographiques, et à une théâtralité qui raconte autant que les mots.
« No One Was Driving The Car » est un album dense, exigeant, parfois poignant, mais qui récompense une écoute attentive par des images persistantes et une force émotionnelle rare.