Florence And The Machine – Everybody Scream
Avec Everybody Scream, Florence Welch nous offre un opus viscéral, obscur et profondément personnel. Ce sixième album s’oriente vers une approche plus audacieuse et introspective, influencée par un drame personnel dévastateur : la fausse couche qu’elle a subie, laquelle a bien failli lui être fatale. L’intention créative est évidente, mais le rendu oscille entre pics d’intensité et zones plus opaques, capables à la fois de fasciner et de déconcerter.
De sang et de larmes
C’est le titre éponyme Everybody Scream qui instaure le ton d’un disque qui vise moins la séduction que l’exorcisme intérieur : une progression théâtrale, des voix spectrales en chœur, et une interprétation vocale oscillant entre supplication et hurlement poignant. L’ensemble est imprégné de sujets pesants, tels que le chagrin, la maternité ou la résilience, traités avec une sincérité brute et immédiate. Le mysticisme, déjà récurrent dans l’œuvre de Florence Welch, s’assombrit ici jusqu’à frôler l’ésotérisme, accentué par des allusions à la magie et aux êtres légendaires dans des chansons comme Sympathy Magic ou Kraken. La place des femmes dans le milieu artistique, ainsi que le poids de la notoriété, occupent une place centrale dans plusieurs compositions. One Of The Greats, sans doute l’un des morceaux les plus étirés de sa carrière, illustre cela de manière saisissante. Avec ses riffs de guitare âpres et son atmosphère dépouillée, il mêle art rock, gothique et post-punk, tout en interrogeant la validité de l’expression artistique et les renoncements exigés des femmes. Plus largement, la voix de Florence se révèle ici plus exposée que jamais. Elle passe de souffles timides à des vociférations dévastatrices, en passant par des crescendos poétiques, souvent sans artifice. Cette palette vocale, signature de l’artiste, amplifie la charge cathartique qui imprègne l’album.
Un choix artistique pas toujours persuasif
Sur le plan musical, Florence + The Machine ose des virages osés. Loin des explosions pop de Lungs (2009) ou des antiennes grandioses de Ceremonials (2011), qui avaient propulsé l’artiste vers la célébrité, Everybody Scream s’aventure dans des contrées plus ténébreuses, effleurant le folk gothique et des explorations sonores novatrices. La production adopte une économie marquée, avec des titres très dépouillés comme Buckle ou Drink Deep, qui incitent à une immersion dans les paroles. Cette épure peut charmer par sa finesse, mais elle pourrait aussi éloigner certains écoutants. De surcroît, des pistes comme Witch Dance fascinent par leur bizarrerie revendiquée, sans pour autant éviter de semer la confusion.
Il convient de mentionner le rôle prépondérant du guitariste Mark Bowen, issu d’IDLES, et de Mitski (sur Everybody Scream et Buckle), parmi les collaborateurs clés de l’album, que Florence Welch admire particulièrement. Leur apport se perçoit dans la composition et l’ambiance de divers morceaux, instillant une dimension plus narrative et intérieure.
Malgré une palette sonore foisonnante, incluant des instruments atypiques, des formes non conventionnelles et des timbres surprenants, l’ensemble peut parfois pêcher par manque d’attraits immédiats. Cette orientation, pour audacieuse qu’elle soit, ne séduira pas un public unanime.
L’album s’achève sur And Love, une ballade épurée et contemplative, qui contraste avec la dramaturgie ambiante. Comme un apaisement après l’orage, ce final évoque une résolution intime.
Everybody Scream n’est pas une œuvre à prendre à la légère. C’est un travail compact, parfois troublant, qui requiert patience et concentration. Si Florence Welch y expose une version plus âpre et fragile de son talent, elle s’éloigne toutefois de l’approche grand public qui caractérisait ses opus antérieurs. Cela pourrait bien polariser les avis : pour certains, un sommet libérateur ; pour d’autres, un dédale affectif ardu à naviguer. Une certitude : Florence + The Machine persévère dans son évolution, au risque de laisser certains fans sur le carreau.
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